Research / Other publications
En pleine pandémie de Covid-19, et alors que le Parti populaire européen (PPE) aux manettes à Bruxelles aurait dû privilégier une coopération plus efficace pour endiguer cette grave crise mondiale, la droite européenne a choisi la division en mettant sur le devant de la scène de petits intérêts politiciens pour réduire encore plus les marges de manœuvres des pays comme la Hongrie. Résultat : le PPE a finalement réussi à perdre un peu plus de poids politique, notamment avec le départ de Viktor Orban et du Fidesz de son groupe. Un événement historique qu'il convient d'analyser à travers le prisme de l'évolution lente du PPE, passant d'un ADN démocrate-chrétien à une doctrine néolibérale pur jus.
En effet, l’ADN du NEI (Nouvelles Équipes Internationales), précurseur du PPE fondé en 1947 avec la participation de Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi et Robert Schuman, entre autres — défendait initialement le christianisme comme seule solution pour apporter une vraie démocratie.
Puis, au cours des années 80, le PPE et la démocratie chrétienne d’Europe de l’ouest ont été confrontés à de très sérieux défis politiques et sociétaux. Celles-ci étaient dues d’un côté à la diffusion de l’idéologie de mai 68 qui s'était diffusée petit à petit dans le monde occidental, et de l'autre côté à l’érosion du pouvoir de nos dirigeants qui souhaitaient à tout prix conserver leurs acquis et ce, en s'adaptant aux nouvelles modes du temps. Comme Thomas Jansen, l’ancien secrétaire général de l’alliance du parti le remarquait : « Le changement d’humeur a entraîné une transformation des valeurs européennes. »
Les mouvements de jeunesse et d’étudiants des années 60, l’évaporation de l’influence des Églises, la remise en cause généralisée de l'ordre politique occidental ont tous contribué à l’érosion des traditions : la démocratie chrétienne a ainsi perdu son attrait originel. De plus, en craignant la perte de leur pouvoir d’un cote et de l'autre en raison de la peur perpétuelle d’être considéré comme intolérant, trop conservateur ou réactionnaire, le mouvement chrétien-démocrate n’a pas osé défendre courageusement ses valeurs.
Malgré cela, le Parti Populaire tentait tant bien que mal de rester fidèle à ses principes originaux. De telle sorte que la charte en vigueur lorsque le Fidesz a rejoint le Parti populaire européen en 2000 était encore si conservateur qu’elle déclarait : « Toute personne appartient à une communauté et doit soumettre ses propres intérêts à l’autorité légitime de la communauté ». Ils condamnaient ainsi le néolibéralisme, appelaient à un « examen approfondi de la croissance économique illimitée et de la vie matérialiste » et soulignaient la stricte égalité des partenaires d’Europe centrale et orientale souhaitant adhérer, soulignant que « le patriotisme et le sentiment d’appartenance à une communauté font naturellement partie de l’existence humaine ».
Force est de constater aujourd'hui que ce Parti populaire n’est plus le parti auquel le Fidesz a adhéré en 2000. Depuis que le parti gouvernemental de la Hongrie a pris des mesures contre la politique migratoire de l’Union européenne pendant (et après) la crise migratoire de 2015, l’aile libérale du PPE n'a cessé d'attaquer sans arrêt le Fidesz. Cette série d'attaques sans commune mesure qui a duré près de 6 longues années, était un bon reflet de la façon dont une minorité forte (mais faible dans ses propres pays, il faut le rappeler) d’une famille de partis qui avait autrefois des valeurs conservatrices et démocrates-chrétiennes n'était finalement devenue qu'un lieu de rassemblement pour les partis qui étaient prêts à se conformer à l’élite libérale et à la doxa progressiste, en vogue dans les classes dirigeantes européennes.
Au cours de ces dernières années, il est donc compréhensible que la question suivante se soit posée : vaut-il la peine de rester membre d’une importante communauté d’intérêts tout en continuant à agacer ce parti sur sa base idéologique ? Car Viktor Orban n'a jamais rien cédé, et c'est ce qu'on lui reprochait.
Il est indéniable que, malgré tous ses défauts et ses faiblesses, le PPE reste l’une des plateformes politiques essentielles de l’UE – il est désormais une alliance de partis influents plutôt qu’une communauté de valeurs. Et cela est toujours vrai, même si le PPE a obtenu l’un des pires résultats de son histoire lors des élections européennes en 2019. Cependant, plusieurs partis d’Europe de l’ouest et du nord du PPE représentent depuis longtemps des valeurs de gauche plutôt que des normes conservatrices, et visent aux objectifs politiques progressistes, principalement libéraux, tels que la création d’une société multiculturelle, l’extension des droits homosexuels ou la légalisation de la migration et de l’intégration massive des immigrants.
Pendant ce temps, la politique pro-immigration de l’UE a échoué et les eurodéputés libéraux du groupe de plus en plus à gauche cherchaient à utiliser la crise de coronavirus pour faire avancer leurs propres intérêts. Ils voulaient que le PPE évolue en permanence dans une direction libérale pour être en mesure de créer les ÉtatsUnis Européens.
Le départ du Fidesz du PPE — et de ses 12 élus, plus que le groupe LR au PPE — réduit encore la force de ce dernier déjà en chute au Parlement européen, car il ne pourra pas compter sur les votes du Fidesz (et donc les votes du groupe Renew Europe ne seront peut-être plus suffisants pour une majorité). Ce changement réduit encore la popularité des partis membres déjà affaiblis du PPE.
Au milieu d’une crise sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, le PPE a joué un trouble jeu politicien au lieu de se battre contre le coronavirus, et a cherché à modifier ses statuts et à jouer la partition de la gauche et des libéraux. Le Fidesz était épuisé de continuer la privation de droits par le PPE et de dégrader les près de 2 millions de personnes qui soutiennent le parti au pouvoir hongrois, et a donc décidé de partir. Pour l’instant, seul. Mais d’autres pourraient bientôt suivre. Ce n’est peutêtre pas le début de la fin, mais la fin du début… ?
Retrieved from.